Cidre Clos Moulin

Avec les Cotentinois, nous sommes allés à la rencontre de François Badier, producteur de cidre dans le Cotentin, au cœur de son verger.

Notre pincé nous guide à travers les pommiers pour nous transmettre ses connaissances sur l’histoire du cidre dans le Cotentin et son process, du ramassage des pommes jusqu’à la dégustation. François nous dévoile comment, avec ses collègues de l’AOP Cidre Cotentin, il cultive la tradition avec passion et innovation.

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Bonjour François, ravi d’être là aujourd’hui avec vous dans votre verger. Pour commencer cette interview, je vous propose un petit jeu de questions réponses, à chaque question, vous avez deux choix, vous choisissez l’option qui vous va le mieux et vous pouvez nous expliquer pourquoi ce choix. C’est bon pour vous ?

C’est parti.

Vous préférez le Cotentin en été ou en hiver ?

Ouh là là, ça commence fort les 2. Les 2, mon capitaine, parce qu’en été, alors quand on a la chance d’avoir le soleil sur les plages, c’est très agréable et l’hiver pour moi, c’est la saison des pommes avec lesquelles on travaille les jus et c’est assez sympathique d’aller travailler le soir. Cela donne une ambiance dans la brume avec la pluie, c’est assez particulier et donc les deux sont assez sympathiques.

Vous êtes plutôt plateau de fruits de mer ou de produits du terroir ?

Alors plutôt produit du terroir, même si j’aime beaucoup les fruits de mer, c’est mon côté terrien qui ressort.

Plutôt randonnée ou sport nautique ?

Plutôt randonnée. Mais les sports nautiques vont avec puisque j’aime beaucoup les sports nature, la pratique de l’équitation, du VTT. Les sports nautiques, l’été, dans le Cotentin, il n’y a pas mieux.

Littoral ou bocage ?

Littoral, ça peut pas être paradoxal par rapport aux réponses précédentes, mais littoral.

Artisanat ou patrimoine ?

Patrimoine, parce que d’un patrimoine, ça peut être aussi patrimoine vivant et donc on englobe un peu l’artisanat aussi.

Une question plus en lien avec votre métier, cidre doux ou brut ?

Brut, sans hésitation.

Et la dernière, pomme amère ou pomme douce ?

Amère, pomme typique du Cotentin, il n’y a pas mieux.

Merci pour ces réponses qui nous permettent de vous connaître un peu mieux. Maintenant, on aimerait que vous nous en disiez un petit peu plus sur votre parcours personnel et surtout pourquoi vous êtes devenus producteur de site dans le Cotentin ?

Alors moi, je suis né à côté de Cherbourg et dans la famille, les oncles, les grands-parents faisaient du cidre. Des tout petits, j’ai baigné dedans et je suis tombé dans la marmite comme Obélix. C’est devenu une passion et j’ai racheté le champ de mon oncle qui l’avait planté pour sa consommation personnelle en 2015. En 2019, j’ai fait un salon en tant qu’amateur à Saumur. C’était un grand salon cidre où il y avait plein d’étrangers. Et il y a un importateur étranger qui est adoré, qui m’avait commandé quatre-cents bouteilles. Et suite à ça, j’ai créé l’entreprise. Et là, ça a été fabuleux parce que ça a été des échanges avec les restaurateurs, les cavistes, les clients un peu partout en France.

Voilà, c’est une belle aventure. Moi, ce que j’adore particulièrement, c’est amener les gens au verger pour leur expliquer, parce que pour moi le verger c’est la base.

Ici, on est sur la commune de Tollevast, sur un verger qui a été planté dans les années 1980 avec des pommiers de type basse tige. Donc la différence entre des bases tiges et des hautes tiges, c’est la hauteur de tronc et des bastilles vont rapporter plus rapidement que des hautes tiges, sachant que les hautes tiges, c’est le verger traditionnel du Cotentin puisqu’il y avait les arbres au milieu des champs et les animaux qui étaient en pâture dessous. Donc là, on a des pommiers basses tiges de quatre variétés différentes dont des variétés vraiment typiques du Cotentin, tel que le petit amère ou le binet rouge.

Vous parliez tout à l’heure que c’était notamment agréable dans le métier d’aller à la rencontre de ceux aussi qui vendaient ou qui mettaient à l’honneur vos produits sur leur table. Vous, vous aimez aussi les faire venir ici, leur faire visiter le verger, la production pour qu’ils se rendent compte de tout le process ?

Oui, c’est ça. Pour avoir une vision globale du produit, il faut mettre les pieds dans le verger, c’est-à-dire que pour moi, c’est la base. Sans pomme, on ne peut pas avoir de cidre, on a tendance des fois à se plaindre dans le Cotentin de la pluie, mais sans eau, on n’aurait pas les pommes et les pommes, c’est le cidre, donc il faut amener les gens au verger, leur expliquer qu’un arbre, c’est vivant. Et donc les pommes derrière, c’est, c’est un produit vivant. La base, c’est ici, c’est, c’est le verger. En les amenant ici, ils prennent conscience du produit qu’ils vont avoir après à commercialiser de leur côté, et ils vont savoir en parler.

Est-ce que pour vous, c’est aussi important de transmettre le savoir-faire cidricole pour qu’il ne se perde pas et aussi l’histoire autour du cidre pour que les habitants et tous ceux qui consomment le cidre soient conscients en fait de l’histoire du cidre et de ce qu’il y a derrière ?

Oui, tout à fait. C’est-à-dire qu’on est sûr des communes où je replante mes pommiers, où, en fait, pendant la Seconde Guerre mondiale qui a eu un impact très important en Normandie. Les Anglais sont venus faire des photographies aériennes et dans toutes ces communes-là, tous les champs étaient remplis de pommiers. Ils ont tous été coupés dans les années 60, c’est un patrimoine qui est parti. Ce patrimoine-là, il faut le sauvegarder et le faire perdurer.

D’ailleurs mes étiquettes s’appellent de l’héritage au partage parce qu’on a hérité de plein de savoir, de plein de notions. Le but, ce n’est pas de les garder pour soi, mais c’est de les partager.

Le Cotentin est bien réputé et quand même reconnu pour son cidre. Qu’est-ce qui fait qu’une région, un territoire, est propice à la production cidricole ?

Un territoire est propice à la production cidricole par le sol. S’il y a des pommes ici, ce n’est pas pour rien. Après, il y a toute une histoire, donc si on a encore des vergers de plantés dans le Cotentin, ce n’est pas pour rien. Si tout n’a pas été arraché à une époque, ce n’est pas pour rien. Et puis c’est aussi lié à des variétés, des variétés qui sont propres à un lieu particulier et c’est en ça que la AOP Cotentin est une AOP, c’est-à-dire que non seulement on travaille sur le sol, mais il y a aussi les variétés qui sont très importantes. Ce sont des variétés très phénoliques, donc très tanniques, ce qui en fait des cidres de garde.

Quels sont les éléments qui font qu’on va être en présence d’un cidre exceptionnel, d’une très bonne qualité ?

Alors 97% des cidres dans le monde sont pasteurisés et regazéifiés. Les cidres du Cotentin, c’est totalement banni, c’est-à-dire que c’est de la prise de mousse naturelle, donc les pommes sont pressées, les jus fermente en cuve et ensuite sont mis en bouteille où ils vont mettre au minimum deux mois avant de faire leur prise de mousse. Donc cela fait des cidres de qualité parce que la bulle est beaucoup plus fine, dès qu’on ouvre la bouteille, on n’a pas cette odeur d’œuf pourri, de CO2 qui ressort et du coup, on a tout de suite la pomme qui sort et ça met immédiatement en appétit.

Pour une cuvée de cidre, il faut mélanger différents types de pommes ?

C’est ça. On va avoir quatre types de pommes différentes ; des douces, des douces amères, des amères et des acidulés. Sachant que les cidres du Cotentin ont une base et une trame basée sur l’amertume. On a plus des variétés de pommes amères et douces amères.

Ce mélange de pommes permet un bon équilibre de la boisson finale ?

C’est ça. C’est vraiment le bon terme, c’est la notion d’équilibre. Si on avait quelque chose de trop amère. On va louper quelque chose, si on a quelque chose de trop sucré, c’est pareil, on va passer à côté d’autre chose. Néanmoins, cela permet d’avoir des cidres différents et en fonction des goûts de chacun, c’est-à-dire qu’on va avoir des cidres dans certaines régions de France qui vont être plus basées sur l’acidité, d’autres basés sur la douceur, sur quelque chose de rond qui pourront accompagner des plats un peu différents et nous, on est vraiment basé sur l’amertume.

Et tout à l’heure, vous disiez que vous vous préférez le cidre brut. Qu’est-ce qui va différencier un cidre doux d’un cidre brut ?

Alors un cidre doux va être quelque chose qui va être beaucoup plus sucré. Un cidre brut, voire extra brut, va être beaucoup plus amer et sec. C’est vraiment une tendance qui est développée et recherchée en ce moment. On le voit pour le vin et c’est pareil pour le cidre.

Parce que ça accompagne mieux, notamment les plats ?

C’est ça. Les gens recherchent ça en ce moment. C’est vrai que ça désaltère vraiment bien sous ce beau soleil normand.

Si on prenait une année qui commencerait pour un cidrier au mois de septembre, octobre par le ramassage des pommes. Il y aurait en octobre le ramassage des pommes et le pressage, donc suite au pressage, va y avoir tout le travail des jus pour essayer de les stabiliser. Au mois de février, on va commencer la taille au verger ainsi que la plantation des arbres. Au mois de Mars, on va avoir le greffage des jeunes plants. En mars, avril, mai, voir juin, on peut avoir la mise en bouteille des cidres qui vont être à des densités différentes en fonction de ce que l’on veut avoir, soit du doux, du brut, du demi-sec ou de l’extra-brut. Et pendant deux mois, le cidre va faire sa prise de mousse, durant ce temps-là, l’herbe pousse, cela va être du travail d’entretien au verger. On va avoir une grosse partie commercialisation au mois de juillet, août et septembre et puis on attaque de nouveau au mois d’octobre pour la saison des pommes.

Si vous deviez décrire le cidre du Cotentin en trois mots, pour vous, c’est quoi les trois mots qui définissent mieux le cidre du Cotentin ?

Alors, tradition, parce que, comme je le disais tout à l’heure, si on fait du cidre ici, ce n’est pas pour rien, c’est parce qu’on hérite de beaucoup de choses. Ce serait émotion parce que le but, c’est sur une bouteille, c’est de partager de l’émotion. Et puis innovation, parce que certes, on a un passé avec le cidre, mais le cidre se réinvente. Moi, j’essaye tous les ans de sortir une nouvelle gamme, je ne le fais pas tout seul, je le fais en échange avec les restaurateurs, je fais venir les gens et on goûte, on teste. Et alors, il y a des choses qui fonctionnent très bien, il y en a d’autres qui sortent très bien une année et puis l’année d’après, c’est moins bon. C’est sur le long terme où on fait des choses, mais le but, c’est de tester. Par exemple, je fais du cidre avec une macération de houblon, parce qu’on a vu l’émergence de la bière et les gens, quand ils voient bière, ils y vont tout de suite et ont tendance à délaisser le cidre. J’ai mis ce cidre de houblon dans des bières, dans des bouteilles type bière et du coup les gens sont tentés pour venir et ça fait un nouveau produit. Tous les collègues cidriers essayent de développer, de rechercher ce qui peut, ce qui peut plaire.

Oui, parce qu’on l’a vu ces dernières années, les producteurs de cidre du Cotentin essayent aussi de justement d’innover, pour moderniser cette image du cidre. Et vous parliez tout à l’heure du cidre Cotentin AOP, est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement ce que c’est ?

Le cidre Cotentin AOP, c’est l’union fait la force. Et si on reste chacun dans son coin, on ne peut pas faire grand-chose alors que là, on est une dizaine de producteurs, on se réunit régulièrement et on échange. On échange sur ce qui fonctionne, sur ce qui ne fonctionne pas. Et on goûte et ce qui est important, ce n’est pas de rester sur un cidre, mais c’est de goûter plein de cidre différent pour se faire le palais. Il y a des cidres que l’on aime, il y a des cidres que l’on n’aime pas, comme pour le vin.

On a aussi entendu parler du vieillissement prolongé du cidre, qu’est-ce que c’est ?

Le vieillissement prolongé, c’est l’innovation, mais c’est parce qu’il y a des producteurs qui ont gardé des bouteilles de côté sans les ouvrir pendant des dizaines, des vingtaines d’années, et on s’est rendu compte que ça, c’était assez propice au cidre du Cotentin. Les pommes sont phénoliques, elles sont très riches en tanin, et cela, en fait des cidres de garde où les tanins se fondent avec le fruit au fur et à mesure des années. La première année, on va être beaucoup sur le fruit et l’amertume et tout ça va se lisser avec le temps pour se mélanger et se patiner un petit peu et cela rend des cidres assez exceptionnel.

L’idée, c’est un peu comme vous disiez, comme les tests avec les houblons, c’est d’élargir cette gamme et montrer aussi aux consommateurs qu’il y a plein d’expériences possibles avec le cidre ?

C’est ça, c’est-à-dire qu’avant le cidre, on avait des pommes au mois d’octobre, novembre. On pressait, on remplissait le tonneau. L’année d’après, une nouvelle récolte arrivée, il fallait vider le tonneau et on passait à autre chose. Cette habitude-là, on veut la rompre en disant, nous, on garde vos cidres pendant deux ans et on vous les envoie au bout de deux ans et vous allez voir ça, ça gagne à être fait et testé.

On peut lier aussi le cidre à la gastronomie. La gastronomie locale est quand même assez riche pour vous. Comment le cidre s’intègre dans cette gastronomie locale ?

Alors généralement, quand on parle de boissons, les boissons s’harmonisent très bien avec les produits. Ici, on a la chance, c’est qu’on a une gastronomie très développée, cela va des fruits de mer, le cidre se marie très bien avec, à l’agneau également, où là le cidre extra brut Cotentin va à merveille. On a une gamme de cidre qui fait que l’on peut commencer au cidre et finir au cidre et faire un repas au cidre. Et c’est très bien parce que ça se développe car sa teneur en alcool fait que les gens l’apprécient de plus en plus.

Et on le voit là, on a quelques bouteilles devant les yeux. Vous parliez tout à l’heure que vous empruntiez des codes aussi de la bière. On voit aussi la petite bouteille, c’est assez propice, je pense, pour aussi le moment de l’apéritif, ça peut être aussi ce cidre assez frais à différents moments, soit de la journée ou du repas ?

C’est ça, c’est-à-dire qu’une petite bouteille, ça convient très bien pour des gens. Des fois les gens viennent me voir et me disent “Nous une bouteille, ça fait un peu beaucoup parce qu’on est deux, on boit un verre chacun et ouvrir une grande bouteille pour deux verres, c’est un peu dommage”. Il est moins bon le lendemain, l’aspect des bulles n’est plus là, en prenant une petite bouteille, les gens sont contents et en profitent bien.

Est-ce que vous avez un accord mets-cidre à nous recommander ? Quelque chose que vous affectionnez particulièrement.

Alors, on peut partir sur un agneau grillé au feu de bois, cidre extra brut de Cotentin. Alors là, on est sur une pure merveille.

Et en tant qu’ambassadeur du Cotentin, si vous, quel message vous souhaiteriez transmettre à des personnes qui souhaiteraient venir découvrir le Cotentin ? Qu’est-ce qui rend notre territoire si unique et plaisant à vivre ?

Alors c’est le Cotentin, c’est un mélange de bleu et de vert, alors venez goûter le Cotentin.

Est-ce que vous pouvez nous partager un ou plusieurs coups de cœur locaux, que ça soit une bonne adresse, un lieu que vous aimez particulièrement ?

Alors un lieu que j’apprécie, c’est en se promenant sur Urville-Nacqueville quand on passe de la plage, en remontant sur la lande, en passant par le Landemer, en remontant vers Gréville. C’est assez exceptionnel quoi.

Une belle randonnée ?

Une belle randonnée dans le Cotentin, il n’y a pas mieux.

Merci pour cet échange. On espère que ça a donné envie à nos lecteurs de découvrir ou redécouvrir le Cotentin et surtout de passer un bon moment avec un bon verre de cidre.

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