La préhistoire du Cotentin remonte à 330 000 ans avant notre ère, lorsque les premiers hommes ont fait leur apparition sur ce territoire. De nombreux sites archéologiques conservent des traces de ces passages, témoignant des occupations ainsi que de l’évolution de ces civilisations à travers les habitats, les croyances et les rites funéraires. Ces différentes mutations s’étendent sur les périodes préhistoriques, du Paléolithique, Néolithique et l’âge des métaux.
Epoque Paléolithique (-330 000 à -40 000)
C’est à partir de l’époque paléolithique, vers 330 000 ans, que l’on atteste de la présence des premiers hommes dans le Cotentin : Homo Heidelbergensis ou les Néandertaliens anciens.
A cette époque, les habitats se sont structurés autour du littoral, principalement dans les caps depuis Flamanville jusqu’à Saint-Vaast-La-Hougue. Les reliefs accidentés par la mer avaient permis l’installation d’espaces domestiques dans des failles comme au Rozel, au niveau des falaises au Port Racine, à Fermanville et à Saint-Vaast-La-Hougue et dans des couloirs d’érosion comme à Gouberville.
Les habitats se sont organisés suivant le relief. En pied de falaise ou de rochers, à l’abri des vents, on retrouvait les espaces domestiques, à l’inverse, les aires spécialisées avec l’utilisation du feu étaient implantées plus en aval sur l’estran.
Le site du Rozel : un conservatoire unique pour la période du paléolithique moyen
Le site archéologique majeur du Paléolithique moyen, datant d’environ -80 000 ans, se situe au site du Pou au Rozel. Ce lieu, à l’état de conservation exceptionnel, unique en Europe, permet d’étudier la vie quotidienne et le mode de vie de ces Hommes qui étaient des chasseurs-cueilleurs-collecteurs. Cet emplacement était occupé de façon récurrente et servait de refuge à la mauvaise saison qui allait de mi-automne au début du printemps.
Ce site fonctionnait en mode « campements » et était destiné au traitement des carcasses d’animales d’espèces chassées et/ou récupérées dans la prairie. Les occupants consommaient comme viande, principalement, du cerf élaphe, de l’aurochs (bœuf sauvage), du cheval, mais aussi de l’éléphant antique, du rhinocéros de prairie, du mégacéros (grand cerf des tourbières) …
Une conservation d’empreintes humaines exceptionnelles
Avec plus de 2900 traces et empreintes humaines, le site du Rozel compte plus de 99% d’empreintes de pieds de Néandertaliens connus en Europe, certaines auraient même été « chaussés », c’est à dire emballés dans une peau. Ces traces de pas ont permis de comprendre la constitution du groupe, qui comprenait une majorité d’enfants et d’adolescents mais aussi des adultes. De plus, elles ont aussi permis de situer les différents lieux d’activités humaines tels qu’un espace de boucherie, de traitement par cuisson et fumage des matières carnées, de débitage du silex et du quartz pour découper les animaux et travailler les peaux… ainsi que des espaces de stationnement pour les enfants situés à proximité des zones de travail, semblables à nos garderies aujourd’hui.
Les équipes de la Direction régionale des Affaires culturelles de Normandie, étudiants et bénévoles, mènent ainsi tous les étés 3 mois de fouilles sur ce site et ont mis à jour des aires de travaux spécifiques, liées au traitement de carcasses d’animaux mais aussi d’habitats, datés autour de 80 000 ans. Ainsi, les traces de faune ont permis d’établir que les hommes de Néanderdal ont consommé de préférence de grands herbivores, tels que cerf, cheval et auroch (bœuf sauvage). Elles témoignent de la présence de chevreuil et de rhinocéros de prairie.
Le site compte parmi les sites majeurs « du Monde Néandertalien » apportant une contribution majeure à la connaissance des paysages du début du dernier glaciaire dans lesquels évoluaient les humains, à la perception des néandertaliens, tant sur la constitutions des groupes que sur la gestion de l’espace ou des traditions culturelles.
Le site du Rozel se singularise par la conservation de traces et d’empreintes de pieds, genoux et mains humaines et pattes animales. Ces dernières attestent de la présence d’animaux dangereux : ours, loups ainsi qu’un félin de la taille du lion des cavernes.
Epoque Néolithique (-5 100 à -2 000)
Durant cette période, les hommes se sont sédentarisés ce qui a permis la création de villages ainsi que l’apparition de l’agriculture et de l’élevage. Les maisons étaient fabriquées à partir d’une structure en bois couverte de terre. Certains villages étaient même protégés, avec un rempart de terre et un fossé d’enceinte comme au Cap de Carteret.
Avec la sédentarisation, les modes de vie ont évolué : Les hommes défrichaient les forêts pour aménager des champs pour les cultures et des pâturages pour l’élevage. Ils ont également créé des pêcheries sur le littoral, qui étaient généralement des barrages droits en pierres mesurant quelques dizaines de mètres de longueur. Le site le plus complexe se trouve à Réville au lieu-dit « Dranguet » et est constitué d’un ensemble de 3 barrages courbes étagés.
De nouvelles croyances sont apparues, telles que le mégalithique, qui se traduisait par la disposition de stèles ou menhirs (pierres plantées verticalement), comme on peut le voir à Saint-Pierre-Eglise, ou d’architecture en pierre comprenant piliers et table de couverture, appelées dolmens. Il s’agit de sépultures collectives d’abord pour un petit nombre d’individus, puis pour une centaine de corps comme pour les allées couvertes de Bretteville-en-Saire et de Vauville.
Site des pierres Pouquelées à Vauville
Le site au lieu-dit des « Pierres Pouquelées » à Vauville offre un superbe exemple de sépulture collective. Il s’agit d’un ensemble de pierres assemblées par l’homme formant une allée couverte avec une entrée latérale. L’ensemble de la tombe mesure 14.50 mètres de long pour une largeur d’un mètre.
Allée couverte de Bretteville-en-Saire
Cette sépulture collective est l’allée couverte la plus complète du département. Le monument mesurait un mètre de haut pour 16 mètres de long. Il s’agissait d’une allée couverte à entrée latérale, l’accès se faisant sur le côté et non dans l’axe du monument. La particularité de ce type de sépultures, formées d’une chambre-couloir, était que la chambre était séparée du couloir par une dalle transversale échancrée formant le système de fermeture de la tombe.
Cette époque a également vu l’apparition d’un artisanat spécialisé avec la fabrication d’outils et de parures en pierre et en céramique. Parmi les matériaux utilisés, on trouvait notamment le schiste, exploité à Brillevast, où l’on a découvert un atelier de production d’anneaux ainsi qu’un site d’extraction de la roche utilisée pour la fabrication de bracelets. Ces productions ont participé à l’économie du Néolithique et ont favorisé la circulation des individus et des objets.
L’âge des métaux (-2 000 à -700)
Le début de l’âge du Bronze a été marqué par l’émergence de sépultures individuelles, sous tumulus, formés d’un tertre de pierre ou de terre. Le rite funéraire consistait à ensevelir dans une sorte de coffre en pierre ou en bois le défunt, avec ses armes sous une butte. Les armes enterrées dans le tumulus, haches et poignards en bronze, pointes de flèches en silex, étaient réservées à quelques individus, probable aristocrate de l’époque du Bronze ancien (entre 2000 et 1600 avant notre ère). La Hague est l’une des régions où l’on retrouve le plus de tumulus, dont certains sont encore visibles tels que ceux localisés aux lieux dits « Calais », « Fosse Yvon », « Delles », « Bois des Hougues » et « Lande des Cottes » située à Vauville.
Le tumulus de l’âge du Bronze de Vauville
Lors de la fouille conduite sur le tumulus de la « Lande des Cottes », trois phases d’utilisation du tumulus ont été mises à jour, c’est-à-dire que trois sépultures ont été découvertes. L’une d’entre elles était accompagnée d’un matériel funéraire comprenant notamment un poignard et une hache de combat en bronze, ainsi qu’une plaque d’ambre d’archer. Ces fouilles ont permis de définir les pratiques funéraires du début de l’âge de Bronze, influencées par deux cultures : armoricaine et celle du sud de l’Angleterre, contemporaine de Stonehenge.
L’évolution de la société et du système économique
À cette même époque, la société s’organisait autour de fermes constituées en « réseaux » territoriaux : « les chefferies ».
La Hague Dick, une levée de terre servant de rempart, en est le parfait exemple. Elle définissait la frontière entre la pointe de la Hague et le reste du Cotentin. Sur les 3500 hectares qui composaient la Hague Dick, des habitats et des tombes ont été retrouvés datant de cette période attestant du territoire de la Hague comme « chefferies ».
La période du Bronze moyen se caractérisait par l’augmentation de productions en métal, mais surtout l’apparition d’objets fabriqués en série. Les mineurs et les forgerons sont devenus indispensables pour confectionner outils et armes. Une nouvelle économie comme le commerce de cuivre est apparue dans la Manche, des voies commerciales ont donc été créées. Tout ceci s’est accompagné d’une forte hiérarchisation sociale avec l’apparition de « princes » régnant sur des territoires. À partir de -700 ans, la métallurgie du fer est devenue un acquis majeur car les objets en bronze restaient fragiles. Ce développement de la métallurgie a ouvert sur la structuration de l’espace dominé par un système tribal hiérarchisé et l’apparition de la monnaie.
Une agglomération portuaire gauloise à Urville-Nacqueville
Au second âge du fer, les fermes gauloises témoignaient d’une occupation plus importante. À Urville-Nacqueville, les fermes se retrouvaient également sur le littoral. Ce site était une petite agglomération prospère, tournée vers la mer, qui entretenait des liaisons régulières avec le sud de l’Angleterre. Ces occupants vivaient de l’agriculture, l’élevage mais surtout des ressources économiques offertes par la mer. Cette agglomération a joué un rôle économiquement important, comme en attestent les objets recueillis : amphores à vin italiennes, céramiques anglaises, corail méditerranéen, ambre balte, monnaies… Les fouilles de ce site ont mis à jour une vaste zone funéraire comprenant plusieurs dizaines d’inhumations et d’incinérations. À l’intérieur de ces tombes, des perles en verre ou encore des pièces de jeu en os ont été découvertes, témoignant du faste des cérémonies funéraires et révélant le statut de certains défunts.
Texte relu et validé par Cyril Marcigny , directeur-adjoint scientifique et technique de Normandie à l’INRAP
En coordination avec Le Pays d’Art et d’Histoire du Clos du Cotentin